Nana Sani
“A sense of what was lost”
Il est composé de 6 gravures et de 6 textes.
Tout au long du processus de création je n’ai cessé d’avoir en tête les images et les mots
provenant des récits que me racontait ma mère sur l’Afrique, sur notre départ de celui-ci.
C’est donc le souvenir, ou ce qui reste du souvenir qu'aborde ce travail.
Mes différentes matrices sont faites à l’aquatinte ce qui permet de créer des zones de
densité et de floues sur l’image.
J’ai souvent joué avec l’imprécision apportée par l’aquatinte, que je renforce par moments à
l’aide du savon, pour donner une impression d’image tâchée, qui s’efface et s'abîme avec le
temps. Ainsi, les images sont de moins en moins précises et deviennent presque
fantomatiques, comme des résurgences poussiéreuses.
Ce sont bien des impressions que les gravures traduisent, des vagues images qui me
reviennent de cette enfance volée à mon pays natal. Des images tachées qui fonctionnent
de manière analogue au souvenir. C’est en cela que j’ai voulu que les gravures soient
toujours sujettes à différentes interprétations, que leur lecture soit floue.
Il y a une résonance entre les gravures et les textes, textes qui forment des bribes de
conversations, d’histoires, de description d'événement..., qui retracent le souvenir par
hachure. Les deux médiums agissent individuellement, dans un effort commun, pour tenter
de donner un sens à ce qui a été perdu.
Textes :
1.
Et c’est ainsi, les flammes du foyer s’élèvent.
on a incendié la terre et les souvenirs qu’elle nous garde
2.
Je ne t’ai connu que dans son silence, le silence d'un homme inquiété par le souvenir du
baobab, silence mort couché sur sa vieille plantation.
3.
Nous n’avons jamais daigné nous baisser, coucher notre front sur le tapis, se lever aux
aurores et céder chaque parole aux hommes qui nous regardaient.
Nous avons préféré partir.
La saison en demandait trop de nous.
4.
Sa place est ici, son village c’est la France.
Et ta famille au pays, n’est ce pas aussi sa famille ?
Chacun son bagage, ne trompe pas nos enfants.
Jamais ses yeux ne verront ce que j’ai vu, jamais ils ne connaîtront ce que j’ai connu, la
terre sale qui m’a enfantée, cette même terre qui m’a violée et répudiée, jamais cette terre
ne pleurera mes enfants, jamais !
5.
Les femmes sont maintenant assises en cercle.
Elles ne parlent pas.
L’avant de leur corps est recouvert de terre.
Chacune évite le regard de l’autre.
6.
Et tu as dû laisser partir cet enfant, comme beaucoup d’autres, car sous ton sein ne coulait
plus que de l’air, sombre et épais. Sous tes vastes champs et tes grands lacs, tu t’étais senti
seule comme une mère qui sourit sous la douleur arrachée à ses enfants. Peut-être déjà
étais-tu vidée de tout espoir de les revoir.